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Magali Collet Auteure

La cave aux poupées et autres...

L'odeur du jus de raisin

L'odeur du jus de raisin

Le 1er, c’était facile, il y avait plus que les traces : il y avait les mots, la voix. Elle l’avait identifié immédiatement. S’en était suivi un oubli bien trop long et des contacts malsains jusqu’à sa disparition. Oh, elle n’y était pour rien même si elle l’avait souvent souhaitée, espérant que ça changerait tout. Au fond, elle ne savait même pas si ça l’avait rendue heureuse. Lui, c’était les coups et le sang, c’était le mal. Il détruisait par la douleur. Casser les sentiments et le corps, c’était une vengeance assez banale somme toute, presque pathétique ; mais le mal était mort, emporté par sa conscience et la peur et finalement, elle en aurait peut-être presque voulu à la Providence d’avoir agi à sa place. 

Elle sortit de la douche. La chaleur de l’eau n’était plus qu’un mauvais souvenir et elle se mit à grelotter et à claquer des dents.
« Non, non », pensa–t-elle, « Je ne m’essuierai pas ».
Carole avait lu dans Marie-Claire que laisser les gouttes sécher naturellement raffermissait la peau et, l’âge aidant, elle avait tendance à devenir de plus en plus moelleuse. Elle posa un masque tissu anti-fatigue sur son visage et alla s’asseoir, nue et humide, sur le canapé du salon. Elle allongea les jambes et fit l’inventaire de ses faiblesses et atouts.
« J’ai des yeux magnifiques, des hanches un peu trop larges, des jambes à tomber et un cul d’enfer. » Elle passa en revue toutes les parties de son corps et se dit que finalement, à quarante ans passés, ce n’était pas si mal. Après les quinze minutes de pose réglementaire, elle se débarrassa du voile qui dissimulait son visage et se leva, pleine d’un entrain qu’elle n’avait pas 1 heure auparavant. 


L’autre, c’était le Diable. Elle en était convaincue. Il n’était pas comme dans la Bible, il était pire. Il n’avait pas agi par vengeance mais par pur plaisir, elle l’avait su tout de suite. Elle n’avait jamais parlé de lui et avait caché bien longtemps tout ce qu’elle savait. Oh pas grand chose et tellement en même temps. Il y avait la texture de sa peau sur son dos à elle. Une texture, ça ne se décrit pas.
Contrairement au 1er, lui, s’était mis torse nu. Elle avait senti sa force, son poids et ses poils. Et puis, il y avait l’odeur. Cette odeur. Celle du jus de raisin. Peut-être était-ce du vin plutôt que du jus mais même aujourd’hui, elle ne pouvait en boire une gorgée sans la rendre aussitôt.
 

Les premiers rendez-vous étaient pour elle comme les premiers jours d’école lorsqu’elle était enfant : une épreuve dont elle ignorait avant de la subir si elle en sortirait heureuse ou mortifiée. Elle prit du temps afin de préparer sa peau. Elle se massa longuement à l’aide d’une huile sèche. Elle en aimait le parfum, la texture et le satiné. 
Carole se maquilla légèrement, toujours vierge de vêtements. Ses cheveux épais, presque crépus lui descendaient maintenant jusqu’aux épaules. Comme toujours, elle les attacha en un chignon sévère mais facile à dénouer. Qui sait ? Peut-être seraient-ils dénoués ce soir. Cette pensée lui arracha un sourire. 
Elle mit sa robe préférée ; une robe en soie noire avec un décolleté en V qui lui arrivait à hauteur de genou. Elle accrocha ses boucles d’oreilles en perles. Elle aimait les perles.
« J’espère qu’il les aimera aussi ».
Elle avait connu Etienne sur Meetic. Il avait 47 ans, était divorcé et avait un fils de neuf ans. Il n’était pas vraiment beau mais elle lui trouvait un charme fou avec ses cheveux grisonnant. Elle avait toujours aimé les hommes qui avaient le Clooney qui poussait. Elle sourit. 
Cela faisait plus de trois mois qu’ils discutaient et ils avaient décidé d’un commun accord qu’il était nécessaire, à leurs âges respectifs, de ne pas se précipiter. Il avait respecté et compris ses réticences et c’est elle qui avait finalement choisi la date de leur première rencontre. Elle avait hâte de le rencontrer et d’entendre sa voix autrement que via un téléphone portable. Enfin prête, elle sortit.

Malgré tout ce qu’elle avait pu dire, elle n’avait jamais renoncé. Elle avait noirci plus de 200 pages en essayant de noter tout ce dont elle avait pu se souvenir le concernant. De la texture de ses cheveux à la sensation de ses doigts dans les siens, à elle ; de la pression de ses mains à la marque que ses dents avaient laissée sur son épaule, son dos. L’odeur de l’urine avait remplacé celle du raisin lorsqu’il avait essayé de l’hydrater à sa manière. Pour la laver de la boue sans doute... Lui détruisait l’être, l’humanité, la compassion, l’amour. 

Carole le reconnut. Il était attablé dans ce bar de banlieue et regardait son téléphone. Elle entra. Il lui sourit. Les minutes passèrent très vite ; trop vite et petit à petit, leurs doigts en arrivèrent à se frôler, l'air de rien. Ce contact l’électrisait. Elle lui parla de sa vie, de son travail auquel elle consacrait tout son temps, de sa passion pour le cinéma ; il lui raconta son divorce et son fils, Milo, qui était en CM1, la salle de sport dans laquelle il passait plus de 3 heures chaque semaine. Elle l’écoutait parler sans le quitter des yeux. Il s’arrêta, la fixa un moment et reprit, la voix rauque :
« J’ai envie de te faire l’amour 
- Partons », répondit-elle, surprise de son audace.
Ils décidèrent d’aller chez elle et c’est main dans la main, en échangeant des baisers comme des adolescents qu’ils montèrent les deux étages qui menaient à son appartement. Elle le guida vers la chambre et ils baisèrent, ivres du désir exacerbé par le manque de chair. 
Etienne la guida et c’est ensemble qu’ils jouirent bruyamment. 
« Tu sais encore t’y prendre pour un vieux », lui dit-elle en riant après avoir repris ses esprits.
« Vieux ?, tu ne disais pas ça il y a dix minutes,
Hum Hum, je peux difficilement me faire un avis, c’était peut-être un coup de chance !
Oh toi, tu vas prendre cher,
Des promesses, toujours des promesses... »
Ils s’embrassèrent. Carole se leva d’un coup : 
«  J’ai soif. Attends, je reviens. »
Elle quitta la chambre, entièrement nue.

Elle avait tout. Tout était écrit, noté, jusqu’à son prénom et sa façon de parler. C’est dur d’écrire une façon de parler... C’était son jardin secret à elle. Un jardin d’herbes infertiles parce que pendant des années elle n’avait pas avancé d’un pouce. Elle avait essayé pourtant. Allant même jusqu’à écumer des lieux glauques à la rencontre de personnages glauques en espérant que la Providence, encore elle, irait les mettre en présence l’un de l’autre parce que malgré le temps, l’oubli des détails non écrits, les failles de sa mémoire, elle était certaine de le reconnaître ; à sa texture et à son odeur. 



« Tu es une vraie salope » lui susurra-t-il lorsqu’elle revint, avec une bouteille de vin blanc dans une main et deux verres à pieds dans l’autre.
Elle remplit les deux verres et les posa sur la table de chevet. Elle ouvrit le premier tiroir et en sortit une paire de menottes, cadeau d’un ancien amant, policier de son état. Elles faisaient toujours leur petit effet. Elle se pencha vers lui : 
« Maintenant, c’est moi qui vais m’occuper de toi 
- Je suis curieux de voir ça. »

Elle se leva et regarda tout autour d’elle. Les murs de son bureau étaient noircis de toutes les notes qu’elle avait accumulées depuis ces années. Des notes et des photos car depuis quelques mois elle l’avait retrouvé lui, le deuxième. 

« Compte sur moi », lui murmura-t-elle à l’oreille.
Elle commença par lui laper la joue, le cou, en s’arrêtant parfois pour picorer des baisers sur ses lèvres. Elle s’attaqua à son torse, caressant et humant sa peau. Prisonnier volontaire, il était à sa merci. Elle s’arrêta.
« Non, continue.
Attends, nous avons toute la nuit non ? » 
Elle l’embrassa et s’assit.
Elle ouvrit le second tiroir de la table de chevet et en sortit une photo et un coffret. 
« Qu’est-ce que tu fais ? »
Elle lui montra le cliché : 
« Tu la reconnais ? 
- Qui est-ce ? Une amie à toi ? 
- Non, tu la reconnais ?
- Je devrais ?
Elle rit.
« Mon Dieu ! Ai-je tant changé que ça ! Il est vrai que j’étais bien plus jeune. Toi aussi d’ailleurs. Cette photo a été prise le jour notre première rencontre ; ça fait 18 ans. 18 ans aujourd’hui ».
Il se mit à bouger dans tous les sens, cherchant à s’extirper des menottes qui lui enserraient les poignets.

Elle l’avait retrouvé et avait appris à le connaître au fil du temps. Il avait 47 ans, était divorcé, avait un petit garçon de neuf ans, Milo, qu’il ne voyait que trop peu...

Elle ouvrit le coffret et en sortit un long couteau à lame blanche qu’elle brandit au-dessus de son torse.
« Joyeux anniversaire mon amour »
La lame descendit.


 

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